BAC DE FRANÇAIS: OU COMMENT DISSERTER SUR DES LIVRES QUE VOUS N’AVEZ PAS LUS

Pour tout Première, l’arrivée des beaux jours est aussi synonyme de bac de français; une épreuve généralement redoutée, par les L pour son fort coefficient, et par les ES et les S parce que, comme le disait justement un de mes anciens camarades de classe, « cette filière, c’est pas pour bouquiner ».

Laissez-moi tracer en quelques lignes votre portrait robot. S ou ES, vous ne lisez probablement pas, du moins rien d’autre que les résumés Wikipédia des ouvrages recommandés par votre professeur de français. Votre baccalauréat, vous le vivrez avec un commentaire - c’est plus cartésien - ou un écrit d’invention - pas besoin de savoir quoi que ce soit -; de toute manière, pour écrire une dissertation, il faut des exemples de livres, et vous n’en avez pas.

Pour ma part, le problème était tout autre. J’ai toujours été ce qu’on appelle une « grande » lectrice. Jusqu’à l’année de Première, mes insomnies, ma passion et mon « travail » de critique littéraire m’ont amenée à une moyenne de 180 livres lus par an. Je me suis donc présentée à mes épreuves de français déterminée à disserter, parce que les commentaires de texte m’ennuient profondément et, écrivant des livres pour le loisir, je ne voulais pas être notée là-dessus. Il me fallait cependant trouver une méthodologie pour dénicher les exemples parfaits pour appuyer mon argumentation. Je ne pouvais passer mes quatre heures d’épreuves à revoir un à un chacun des 180 romans des douze derniers mois. Comment, dans un sujet sur la popularité des héros négatifs ou anti-héros, choisir entre le sublime « Golden Valley » de Gaël Faye (trop adolescent), le touchant « Avant toi » de Jojo Moyes (trop tête de gondole) ou le traditionnel « Candide » de Voltaire (trop classique) ? Devant ces décisions qui me torturaient l’esprit à chaque devoir -ne demandez jamais à une lectrice de hiérarchiser ses livres, c’est du sadomasochisme -, j’ai dû trouver une solution. Et se sont imposés les livres couteaux-suisse.

« Livres couteaux-suisse », c’est ainsi que j’ai surnommé ces romans que j’ai, du jour au lendemain, commencé à placer partout. Qu’il s’agisse de discuter la citation de Zola selon lequel « le premier homme qui passe est un héros suffisant »; de déterminer si la littérature a pour objectif de décrire ce qui fait la grandeur du genre humain (spéciale dédicace à mon sujet de bac); de se demander si elle peut apporter un réconfort au lecteur par rapport aux questions existentielles qu’il se pose; de savoir si elle n’est qu’une illustration des concepts, ou alors de se questionner quant aux restrictions de liberté que la logique impose à l’esprit, il est des livres que j’ai casés dans chacune de ces dissertations.

Mettons que le jour de votre bac, le sujet d’invention ne vous inspire pas et que le commentaire vous laisse présager le pire. Vous aurez bien besoin de ces romans couteaux-suisse qui, en plus de faire des fabuleuses ouvertures de commentaires, sont si riches qu’on peut les citer partout, et si extraordinaires que je vous ordonne vivement de les lire.

Voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdinand Céline

« Les crépuscules dans cet enfer africain se révélaient fameux. Tragiques chaque fois comme d’énormes assassinats du soleil. »

C’est par hasard que Ferdinand Bardamu s’engage pour la guerre, et par les aléas de la vie que, de soldat, il devient colon. Aux prises tour à tour avec l’enfer des tranchées et celui de la jungle africaine et étouffante, cet anti-héros livre l’inverse d’une quête initiatique, à la découverte de toute la misère du genre humain. Mais ce qui fait toute la magie unique de ce roman, c’est son écriture, chaotique, vulgaire, frappante, qui prend aux tripes et fascine par des phrases qui véhiculent l’horreur vécue par le personnage.

Les thèmes marquants:

- Le « anti-héros »: par sa lâcheté avouée, son ton désabusé et sa nature d’homme ordinaire, il tranche avec les « héros » bouffis de qualités qui l’avaient précédé.

- La rupture: après la guerre, ce personnage revendiquant son absence de courage et son manque de valeurs, et critiquant tant le premier conflit mondial que la colonisation, représente une révolution.

A lier avec, ou opposer à:

Jaraï de Loup Durand. A la veille de la guerre d’Indochine, le Cambodge francisé, rural et pacifique, verse peu à peu dans le conflit fratricide. Mais malgré les tensions qui grondent, un formidable réseau d’amis, mené par Lara, planteur d’hévéas, s’organise autour du sauvetage d’un déserteur américain et de la préservation de ce petit pays à l’incroyable douceur de vivre. Un autre voyage au bout de la nuit, dans un contexte de colonisation qui s’affaiblit et s’essouffle ainsi que dans l’ouvrage de Céline, mais cependant transcendé par la solidarité extraordinaire qui lie les personnages et délivre un vrai message d’optimisme.

Orgueil et préjugés, de Jane Austen

« Sur ce il sortit, laissant Miss Bingley savourer la satisfaction de lui avoir fait dire ce qu’elle désirait le moins entendre. »

Campagne anglaise, XIXe siècle. La malicieuse Elizabeth Bennet est la seconde d’une famille de cinq filles, qui pour subsister, n’a pour espoir que de faire un beau mariage. Lorsqu’arrive dans le voisinage le très riche Mr. Darcy, les jeunes filles d’abord ravies déchantent pourtant rapidement devant sa manifeste misogynie. Mais Lizzie découvre bientôt que derrière son apparente mauvaise éducation, se cache un homme d’une grande valeur.

Les thèmes marquants:

- La place de la femme: dans une époque où les seules opportunités des femmes se trouvent dans le mariage, Elizabeth brille par sa belle éducation et son esprit un peu rebelle… lequel s’oppose cependant aux prétendants pour lesquels elle n’éprouve pas d’amour. La rencontre de Darcy, qui semble d’abord la mépriser mais tombe ensuite amoureux, lui donne finalement une liberté supplémentaire, qu’elle conquiert symboliquement grâce à l’intelligente impertinence et la vivacité d’esprit qui la différencient des autres.

- La vie quotidienne: ce qui est extraordinaire dans les romans de Jane Austen, c’est qu’elle tire des histoires passionnantes de presque rien, entre les bals, l’heure du thé et les conflits matrimoniaux. Par son écriture pleine d’humour critique et d’élégant cynisme, elle sublime ce qui serait inintéressant dans la plume d’un autre et dénonce avec majesté les dérives de sa société.

A lier avec, ou opposer à:

Madame Bovary de Gustave Flaubert. Mariée à un ami qu’elle n’aime pas et méprise pour sa faiblesse, Emma se réfugie dans les fantasmes et l’adultère. Ce roman d’un génie réaliste rend brillant le récit d’une vie quotidienne, par un pessimisme acéré et un art littéraire consommé. Il se différencie néanmoins de Jane Austen en racontant cette fois ce qui se déroule après un hymen malheureux.

Hygiène de l’assassin, d’Amélie Nothomb

« A votre époque, vous n’avez plus de mérite: il existe aujourd’hui des brochures qui permettent à des analphabètes de parler des grandes auteurs avec toutes les apparences d’une culture moyenne »

Lorsque le public apprend que le célèbre écrivain Prétextat Tach n’en a plus que pour quelques mois à vivre, des journalistes du monde entier se pressent autour de lui. Mais à chacun de ces reporters courageux, cet auteur de toutes les perversions oppose un comportement empli de vulgarité, d’attaques personnelles et de manipulation malsaine. Jusqu’à ce qu’arrive face à lui une des seules personnes à l’avoir lu, et qui a trouvé dans ses ouvrages l’aveu d’un meurtre commis dans sa jeunesse par Prétextat lui-même.

Les thèmes marquants:

- Ce que l’humanité fait de plus bas: pervers, clivant, misogyne et convaincu de sa supériorité, meurtrier et passionné par le crime, profondément inhumain, Prétextat représente un absolu maléfique encore amplifié par l’écriture pleine de panache et d’envergure d’Amélie Nothomb

-La catharsis: Prétextat trouve son exutoire dans la littérature et l’écriture; la journaliste qui parvient à le faire avouer trouve le sien dans dans le dialogue et la manipulation, tous deux se nourrissant, finalement, de pulsions de mort et d’amour qui se mêlent

A lier avec, ou opposer à:

Le parfum de Patrick Süskind. Là où Prétextat Tach a un talent pour l’écriture, Jean-Baptiste Grenouille a un don pour les parfums et un odorat surhumain. Il met pourtant cette capacité surnaturelle au service de ces mêmes pulsions de vie et de mort, en succombant à la fascination macabre et presque charnelle qu’il éprouve pour une senteur découverte une fois sur une jeune femme, et qu’il tente de recréer en tuant toutes les porteuses d’odeurs lui ressemblant.

Le seigneur des Anneaux, de John Ronald Reuel Tolkien

« Comme tous ceux qui vivent des heures si sombres… mais ce n’est pas à eux d’en décider. La seule chose que nous avons à décider, c’est que faire du temps qui nous est imparti. »

Tout le monde connaît l’histoire de Frodon, jeune Hobbit qui porte l’Anneau Unique, symbole du mal, sur toute la longueur de la Terre du Milieu. Pendant ce temps, l’alliance des hommes menés par Aragorn, des elfes menés par Legolas et des nains menés par Gimli, se bat contre les armées maléfiques de Sauron, en une fantastique fresque qui mêle lyrisme poétique et scènes épiques, dans un des livres-univers les plus complets jamais inventés.

Les thèmes marquants:

- Un roman engagé: en s’inspirant des légendes du roi Arthur ou de la mythologie nordique, l’auteur délivre néanmoins des messages très actuels au temps de la guerre froide: tandis que les « bons » de trouvent à l’ouest, les « mauvais » sont placés à l’est, et l’Anneau représente quant à lui la corruption qui rompt cet équilibre manichéen

- L’évasion: la complexité, l’originalité et la maîtrise de cet univers plein d’inventivité en a fait une base pour la fantaisie actuelle, et permet au lecteur de s’évader dans un monde parallèle, loin des soucis du quotidien

Astuce

N’hésitez pas à citer le nom complet de l’auteur, au lieu du traditionnel «JRR Tolkien». Cela prouvera que vous êtes un grand lecteur, sensible à l’identité de l’écrivain. Ou alors simplement que vous avez pris connaissance de cet article, c’est selon.

-> Attention ! Nous entrons maintenant dans la série des ouvrages que je n’ouvre qu’avec vénération…

Daddy, de Loup Durand

« C’est le fils de ma soeur. Il tient d’elle un grand esprit de contradiction. Ma soeur a un tel esprit de contradiction que si on la noyait dans le Rhône à la hauteur d’Arles, son cadavre remonterait le courant jusqu’aux sources du Saint-Gothard. Nous autres Suisses avons plus de fantaisie qu’on ne pourrait s’y attendre. »

1942. Thomas a onze ans, mais pour le IIIe Reich, ce petit garçon vaut 724 millions de marks, car il détient les codes bancaires permettant de débloquer des sommes colossales cachées à Hitler. S’ensuit une haletante traque que l’enfant vit comme une partie d’échec : contre lui, les troupes de la Gestapo et à leur tête, un redoutable professeur de philosophie, Gregor Laemmle; avec lui, le formidable réseau de solidarité mis en place par sa mère, Elle, et un homme qui pourrait peut-être, être son père.

Les thèmes marquants:

- L’enfance: du fait de son incroyable maturité et de son époustouflante intelligence, Thomas est forcé de grandir trop tôt; il demeure cependant un petit garçon attaché à sa mère et au père qu’avant cette aventure, il n’avait jamais connu

- La lumière: ici, la littérature montre aussi la voie, en narrant une histoire d’amour maternel et filial, de solidarité et de sacrifice dans un contexte de guerre; de l’ombre peut émerger la lumière, et malgré la difficulté, des héros peu conventionnels peuvent rester fidèles à leurs valeurs

A lier avec, ou opposer à:

Peter Pan de James Barrie. C’est ici l’histoire d’un jeune garçon qui refuse de grandir, et propose à d’autres jeunes de s’échapper dans le Pays Imaginaire, représentation du monde des rêves, dans lequel tous vivent des aventures fantastiques dans les univers de pirates, d’indiens et de sirènes qui vont vibrer l’enfance.

Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand

« Bref, dédaignant d’être le lierre parasite, lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul, ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul. »

Bretteur, poète, scientifique, musicien surdoué, Cyrano, cadet de Gascogne, est néanmoins affublé d’un nez énorme qui s’est mis en travers de son coeur: la belle Roxane aime ailleurs, en la personne d’un militaire sans esprit, Christian. Mais Cyrano, pourtant, décide de prêter à ce dernier la verve qu’il lui manque pour l’aider à séduire la précieuse. L’histoire d’un amour désespéré et tragique, et d’un homme qui, « pour le bonheur d’une femme donnerait le sien, quand bien même elle devrait n’en savoir jamais rien ».

Les thèmes marquants:

- L’incarnation: Cyrano de Bergerac est un concept à lui seul. Indépendant, accompli, en-dehors des codes et des cadres de la société, libre, assuré, il excelle dans tous les domaines mais est desservi par sa seule apparence.

- Le héros romantique: le thème de l’écrivain remarquable mais peu remarqué, et de l’amant passionné mais à l’amour impossible, est récurrent dans les drames romantiques qu’un siècle plus tard, Edmond Rostand reprend à son goût, tout en faisant de cette pièce magnifique, au style torrentiel et envolé, un plaidoyer en faveur d’une France indépendante et fière, malgré la défaite vécue en 1870.

A lier avec, ou opposer à:

On ne peut comparer Cyrano à rien, allez vous faire… Je plaisante. Ruy Blas, de Victor Hugo, présente l’amour impossible d’un valet, hissé au rang de noble, pour une reine. La langue caractéristique de l’auteur transcende une histoire profondément belle, qui mêle le sublime - l’amour et la noblesse - au grotesque - les mensonges d’un valet.

Vous avez désormais les cartes en main pour réussir votre dissertation. A vous maintenant d’obtenir un brillant 20/20 (ou 16/16 du moins), et d’employer votre été à dévorer ces excellents livres… Bon courage pour votre baccalauréat et belle lecture à vous !