Massacre des Ouïghours : le drame étouffé
- Alix DELPY
- Jul 24, 2020
- 7 min read
La région du Xinjiang, théâtre d’une répression de masse.

Les Ouïghours sont un peuple d’ethnicité turcophone, à majorité musulmane sunnite, localisés dans la région autonome du Xinjiang.
La répression contre les Ouïghours débute le 1 mars 2014, après un attentat dans la ville de Kunming, dans la province de Yunnan, faisant 31 morts et 143 blessés. Les auteurs de ces attaques sont un prétendu groupe djihadiste de séparatistes Ouïghours. C’est à ce moment que le gouvernement chinois lance ce qu’il nomme « la guerre contre le terrorisme ».
Le Xinjiang a connu plusieurs soulèvements qui furent violemment réprimés, c’est pourquoi Pékin veut agir sur cette région. Les Ouïghours dénonçaient les discriminations dont ils étaient victimes depuis cette « guerre contre le terrorisme ». Ils sont réprimés depuis de nombreuses années, et l’ont été d’autant plus avec l’installation de caméras de surveillance, ou encore de l’implantation de nombreux checkpoints et postes de polices. Cette observation constante et cette répression se caractérisent par des puces GPS qui sont obligatoires dans les voitures par exemple.
Le gouvernement élude la source du problème dans sa riposte, et initie le processus d’une répression de masse des Ouïghours. D’après l’ONU, au moins 1,5 million d’entre eux seraient détenus dans les camps, soit 10% de la communauté, mais également des ethnies kazakhes ou encore kirghizes.
Si le gouvernement chinois qualifie ces camps de « camps de rééducation, d’apprentissage ou de formation professionnelle », les détenus y subissent toutes formes de tortures, psychologiques comme physiques: surpopulation, lavage de cerveaux, forcés de boire de l’alcool, manger du porc…Ces camps sont donc des camps de détention. Un témoin raconte que les femmes, à leur arrivée, étaient enfermées dans une pièce de moins de 20 m2, avec de lourdes chaines aux pieds. Elles y ont expérimenté le manque d’hygiène, d’eau et de nourriture. Les camps ne cessent de s’agrandir, et donc, proportionnellement, leurs effectifs aussi.
Mike Pompeo, le secrétaire d’Etat américain a déclaré que « des centaines de milliers, peut-être des millions d’Ouïghours sont détenus contre leur gré dans des soi-disant camps de rééducation où ils subissent un endoctrinement politique strict et d’autres abus horribles ». Et pourtant, ce mercredi 2 juillet, les douanes américaines ont annoncé avoir saisi des produits à base de cheveux issus des camps de détention en Chine, cette cargaison étant estimée à 12 tonnes.
Un programme d’endoctrinement est mis en place: de l’apprentissage forcé du chinois mandarin aux chants patriotiques à l’honneur de Xi Jinping, les autorités chinoises veulent transformer les Ouïghours en ce qu’ils appellent « de bons chinois ». Une fois par semaine, les autorités chinoises montrent une vidéo de Xi Jinping, puis demandent aux détenus d’écrire leurs auto-critiques, pour vérifier que leur opinion sur lui changeait au fur et à mesure. Les lundis, à 9h55, les détenus étaient forcés de se mettre debout et de chanter l’hymne chinois.
Un étudiant en droit à l’université de la British Columbia, à Vancouver, d’origine chinoise, Shawn Zhang, a réalisé une carte des camps de détention à l’aide de documents officiels du gouvernement chinois. Il localise les camps grâce aux adresses qui y figurent, et réalise une carte avec ces données. Bien qu’elles soient non exhaustives, il fut un des premiers à prouver l’existence des camps.
Une affaire étouffée
Il est très difficile pour les étrangers, encore plus pour les journalistes, qui se font régulièrement suivre, interpeller ou bloquer par les autorités chinoises, de filmer ce qui s’y passe. Il existe cependant de très rares images, mais aucune photo ni vidéo ne peut exposer au grand jour ce qui se passe dans ces camps. Certains Ouïghours français, par exemple, reçoivent des menaces du gouvernement chinois, demandant à leurs parents leurs adresses, quel étage/ bâtiment…
Quand on demande à des personnes ayant des proches enfermés dans les camps, ils répondent qu’ils sont là pour étudier.
Les journalistes ne sont pas les bienvenus au Xinjiang. L’équipe d’Arte ayant été arrêtée 7 fois au cours de leurs 3 séjours, les journalistes étrangers sont suivis, surveillés par des policiers en civils, et sont empêchés de filmer. Les policiers les empêchent d’aller plus loin sur des routes qui mènent à des camps, mais surtout ils nient l’existence des camps à proximité. Un grand nombre de policiers et de checkpoints encadrent le territoire du Xinjiang, là où vivent 11 millions d’Ouïghours, comparable à une prison à ciel ouvert. Privés de leurs droits ou de libertés fondamentales, les Ouïghours vivent sous les ordres perpétrés par les autorités chinoises, étant constamment fouillés, leurs téléphones portables minutieusement contrôlés, des centaines de caméras implantées dans toutes les rues enregistrant tout. En plus de cette surveillance et de cette oppression sur la population Ouïghour, cette dernière doit vivre avec la peur d’être envoyée à tout moment dans les camps.
Une journaliste indépendante jordanienne, Nihad Jariri, s’est rendue dans une mosquée à Urumqi, la capitale du Xinjiang. Lors de son entrée, elle a dû passer par une machine qui a enregistré son identité. Les autorités chinoises peuvent donc accéder au nombre de fois où quelqu’un est entré dans la mosquée, pour ainsi repérer les plus pratiquants, et donc les arrêter plus facilement.
Pékin a nié l’existence de ces camps pendant des mois, puis les a reconnus dans un reportage diffusé sur CCTV, la télévision d’Etat, donnant un aspect parfaitement légal et normal à ces camps. Ces images de propagande montrent des personnes souriantes, heureuses d’apprendre le chinois mandarin, de répéter « je suis un citoyen qui respecte la discipline et la loi », et de recevoir des formations professionnelles qui semblent se dérouler dans un cadre parfaitement professionnel et digne. Une détenue interviewée dit même qu’elle "préfère ne pas imaginer où je pourrais être si je n’étais pas là en train d’étudier. Peut-être que j’aurais suivi des extrémistes religieux, que je serais devenue une criminelle. Le gouvernement et le parti m’ont trouvée à temps, et m’ont sauvée ». Ainsi, le gouvernement de Xi Jinping maquille la vérité, la transformant en des lieux idéaux pour étudier, faisant croire que les personnes sont heureuses « d’étudier » là.
Une ancienne détenue a bien confirmé que les camps dépeints dans les reportages de CCTV sont loins d’être ceux qui existent réellement: des hommes et des femmes, ne sortant pas de leur 20 m2, arrêtés arbitrairement, torturés psychologiquement comme physiquement.
Les rares images que l’on a des camps dépeignent des dortoirs semblables à des cellules de prisons, des salles de classes, ainsi que des slogans dans les couloirs, comme « suivez les directives du président Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère ».
Censés être « rééduqués », les détenus sont en fait torturés: les détenus recevaient des piqures, qui n’étaient bien évidemment pas destinées à un usage médical: une fois par semaine, les détenus devaient sortir leurs bras par une petite ouverture dans la porte de leur cellule. Ces injections entraînaient, pour les femmes, l’arrêt de leurs règles. Les détenus ne se rappelaient plus de l’endroit où ils étaient nés, ou ne pensaient plus à leurs proches, ayant l’impression d’avoir toujours vécu là, ils ne sentaient ni le froid, ni la faim. Selon une récente enquête de The Associated Press, des centaines de milliers de femmes Ouïghours sont soumises à des stérilisations et à des avortements forcés, se faisant implanter de force des appareils intra-utérins à l’entrée des camps. De ce fait, le taux de natalité a chuté de 24% dans le Xinjiang, ce qui révèle une réelle volonté d’éradiquer cette ethnie par le gouvernement chinois. C’est donc un génocide.
83 entreprises sont accusées d’employer un système de mise en esclavage des Ouïghours.
Abercrombie&Fitch, Acer, Adidas, Alstom, Amazon, Apple, ASUS, BAIC Motor, BMW, Bombardier, Bosch, BYD, Calvin Klein, Candy, Carter’s, Cerruti 1881, Changan Automobile, Cisco, CRRC, Dell, Electrolux, Fila, Founder Group, GAC Group, Gap, Geely Auto, General Electric, General Motors, Google, H&M, Haier, Hart Schaffner Marx, Hisense, Hitachi, HP, HTC, Huawei, iFlyTek, Jack and Jones, Jaguar, Japan Display Inc., L.L.Bean, Lacoste, Land Rover, Lenovo, LG, Lining, Mayor, Meizu, Mercedes-Benz, MG, Microsoft, Mitsubishi, Mitsumi, Nike, Nintendo, Nokia, The North Face, Oculus, Oppo, Panasonic, Polo Ralph Lauren, Puma, Roewe, SAIC Motor, Samsung, SGMW, Sharp, Siemens, Skechers, Sony, TDK, Tommy Hilfiger, Toshiba, Tsinghua Tongfang, Uniqlo, Victoria’s Secret, Vivo, Volkswagen, Xiaomi, Zara, Zegna, ZTE.
Les entreprises Adidas et Lacoste se sont engagées à stopper toute activité en rapport avec des fournisseurs impliqués dans l’esclavage des Ouïghours, mais l’entreprise Nike refuse.
Les sanctions internationales
Le gouvernement des Etats-Unis a mis en pratique des sanctions contre Pékin, interdisant à certains ressortissants chinois considérés comme responsables du génocide, ainsi qu’à leur famille, le visa pour entrer sur le territoire américain. La sanction prévoit également le gel des avoirs des ressortissants chinois visés aux Etats-Unis, ainsi que l’interdiction de pénétrer sur le territoire américain. Parmi les responsables qui font l’objet des sanctions américaines, on y trouve Chen Guanguo, le principal responsable du PCC dans la région du Xinjiang. Mais ce vendredi 10 juillet, Zhao Lijian, porte-parole de la diplomatie chinoise, a annoncé que Pékin avait pris des mesures de réciprocité quant aux sanctions mises en place par les Etats-Unis. Un sujet de discorde qui vient s’ajouter à la longue liste d’affaires qui font l’objet de tensions entre la Chine et les Etats-Unis.
Malheureusement, les Etats-Unis semblent être le seul pays a avoir réagi, pour l’instant, à ce crime contre l’humanité. En effet, à l’ONU, 46 gouvernements, qui ont en commun d’être autoritaires, et dont beaucoup d’entre eux ont des relations de grande proximité avec la Chine, approuvent la politique chinoise à l’égard des Ouïghours,
Comment agir
Le meilleur moyen d’agir est de parler de cette affaire autour de vous et de propager l’information, qui est inconnue par beaucoup de monde. En effet, bien que cette affaire fasse de plus en plus le tour d’Internet, elle subit une désinformation, car elle n’est pas exposée ni expliquée au grand public, par exemple elle ne passe sur aucun journal télévisé. Il est donc essentiel d’en parler autour de vous, afin que votre entourage puisse avoir une prise de conscience.
Bien sûr, vous pouvez aller plus loin, par exemple boycotter les 83 entreprises. Chacun est libre de ses actions, le plus important est que la population soit au courant de cette tragédie.
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