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Comprendre la guerre au Yémen

  • Ayah Choukri
  • Jun 26, 2020
  • 9 min read

Le Yémen : pour l’histoire contemporaine, ce nom évoque un pays jeune, né en 1990 de la fusion entre la République Arabe du Yémen (Yémen du Nord) et la République Démocratique Populaire du Yémen (Yémen du Sud). Pourtant, le Yémen, c’est d’abord tout ce que la mémoire humaine a emporté dans ses tempêtes de sable. Un passé aux ailes de géant dont la rumeur survole encore toute la péninsule arabique et au-delà. Un bagage historique extraordinaire, traîné par ses civilisations de royaumes en empires. Aujourd’hui, ce nom ne renvoie plus qu’à des paysages désertiques, ravagés par la famine et la maladie, des visages bruns regroupant toutes les marques de l’agonie.

Ces derniers jours, les réseaux sociaux ont fomenté un élan de sympathie des plus inédits autour de plusieurs cas d'injustice, dont celui du Yémen. Cette vaste contrée bordant le golfe d’Aden et contrôlant le détroit de Bâb-el-Mandeb, aux frontières siamoises avec celles de l’Arabie saoudite, a eu tendance à être écartée des projecteurs médiatiques français. Européocentrisme ? Honte des pouvoirs politiques face au constat de leur impuissance, celui de leur silence ou au contraire, de leur complicité ?

Somme toute, c’est un réel soulagement pour qui, jusqu’ici, sondait le cours de l’Histoire avec une inquiétude manifeste. Ça l’est d’autant plus pour les yéménites, dont la détresse a atteint son paroxysme il y a déjà bien longtemps. Pour raviver un semblant d’espoir en une sortie du conflit et un jour meilleur pour ce peuple opprimé, encore faut-il que cette empathie nouvelle soit justement exploitée et réchappe aux griffes de la démagogie, et du comportement grégaire, toutes deux semences de la bigoterie.

D’où la nécessité de comprendre précisément ce dont on parle.

Lumière, en quelques points, sur un conflit complexe, jeté dans les coulisses de la scène internationale par la négligence humaine depuis bien trop longtemps.

  1. Les printemps arabes : un tournant majeur

Cause : Janvier 2011, le vent des printemps arabes souffle sur le Yémen. C’est l’insurrection populaire, dirigée par une jeunesse pas comme les autres, avide de liberté : شباب الثورة (shabab-al-thawra, la jeunesse révolutionnaire). Partout dans la capitale, sunnites, chiites, Houthis, jeunes, femmes, hommes, chantent d’une même voix les doléances du peuple. Au cœur des revendications, on jurerait entendre celles des égyptiens et des tunisiens avant eux : à bas la corruption, vive la démocratie, bon vent le Président ! Ali Abdullah Saleh, premier président de la République du Yémen, est au pouvoir depuis trop longtemps, et sa politique indigne. Dans une tentative de protéger son assise politique, le chef d’Etat cherche un compromis à travers des promesses de réformes : mais le peuple, déterminé, les balaie d’un revers de la main, et les manifestations se poursuivent dans le sang.

Conséquence : Saleh, défait et décrédibilisé, abdique et se retire de la scène politique. Conformément à la Constitution, c’est son vice-président, Abd-Raboo Mansour Hadi qui prend la succession en 2012, et est proclamée second Président de la République du Yémen. La nation attend de lui qu’il assure une transition sereine vers un régime plus démocratique.

2. L’après-révolution : partition du pays et conflits ethniques

Un dialogue national se met en place. On y discute la partition du pays en un Etat fédéral composé de six régions : Tahama, Azal, Saba, Janad, Aden et Hadhramaut. Ce projet déplait fortement aux Houthistes, qui dans un souci de réclusion, souhaitent s’isoler dans une région stratégique accessible de l’extérieur par la mer depuis leur fief au Nord. De plus, la politique insignifiante de Hadi enlise le pays dans l’instabilité.

Conséquence - Les Houthis entament une conquête du territoire qui n’obéit à aucune régulation politique. Ils cherchent à asseoir leur autorité sur le littoral Ouest du Pays, et gagner la mer. L’assaut se poursuit jusqu’à Sanaa : rapidement, ils prennent le contrôle de la capital, rallient à leur cause une partie de la population et renversent le gouvernement d’Abd-Raboo Mansour Hadi.

Dans le même temps, des groupes terroristes extérieurs au conflit tirent profit de l’instabilité pour étendre leur contrôle sur le territoire (l’Hadhramaut notamment).

Hadi fuit d’abord dans le Sud du pays, mais la progression Houthiste se poursuit jusqu’à Aden et le rattrape. En 2015, il s’exile en Arabie Saoudite. Dès lors, le conflit s’enlise : délaissé par son gouvernement, le Yémen se transforme peu à peu en un terrain sur lequel s’opposent différents acteurs. Bientôt, le pays est à la merci d’une guerre civile – du moins, aux premiers abords. Car très vite, le Yémen s’est changé en une aire de jeux où se disputent puérilement un ensemble de nations pour défendre leurs intérêts multiples ; plus rien n’arrête la descente aux enfers

3. Les acteurs du conflit

  • Houthistes, zaydites (branche chiite minoritaire qui constitue 42% de la population yéménite). Le quartier général du mouvement fondé en 1994 par la famille Houthi se situe dans les montagnes du Nord-Ouest, à la frontière saoudienne. Dans un premier temps, ils se rallient au président déchu Saleh et ancien ennemi, pour mener à bien leur insurrection. Cette alliance prend fin avec son assassinat par les rebelles eux-mêmes, en 2017.

  • Forces gouvernementales d’Abd-Raboo Mansour Hadi

  • Arabie Saoudite (Mohammed Ben Salmane) (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne)

  • Iran et tiers

  • Coalition arabe : Soudan, Egypte, Jordanie, Qatar, Bahreïn, Koweït, E.A.U, Maroc (+ Arabie Saoudite)

4. La coalition arabe sunnite : le conflit change de visage

La coalition est formée la nuit du 25 Mars 2015, soit le lendemain de l’arrivée Hadi sur le sol saoudien. Elle réunit des états arabes exclusivement sunnites autour d’une première opération : Tempête décisive (عملية عاصفة الحزم, ‘amaliya ‘Assafat al hazm). Commandée par le roi saoudien Mohammed ben Salmane Al Saoud et soutenue par les services de renseignements américains ainsi que des nations tiers (Turquie, Pakistan, Sénégal, Mauritanie,…), elle se destine officiellement à restituer l’autorité politique de Hadi et à stopper l’ascension politique des zaydites.

Cette nuit-là, la force aérienne royale saoudienne mène des raids sur plusieurs aéroports pris par Houthistes. Dans le même temps, des avions de combat saoudiens et égyptiens assiègent Sanaa. Le combat est sanglant.

De nombreuses opérations succèdent à celle-ci et continuent de défigurer le pays pendant plusieurs années.

5. Les intérêts de l’Arabie saoudite

A ce stade de la compréhension, une question se pose – et pas des moindres. Pour quelles raisons le plus riche Etat arabe tourmenterait-il le plus pauvre ?

Concurrence sunnite-chiite ? Pourquoi pas.

Simple volonté d’asseoir son autorité par l’oppression ? Vanité humaine ? Ça se tient.

Toutes ces conjectures se valent ; mais pour saisir la nature de ce conflit allant crescendo dans la confusion, et pourquoi autant de regards malveillants sont rivés vers ce pays et se l’arrachent avec un tel acharnement, il faut se placer de différents points de vue. Aussi, il serait naïf de croire qu’une simple mésentente religieuse ferait risquer au royaume de Ben Salmane tous les moyens de brutes déployés dans cette guerre inextricable. Plus particulièrement quand on connait les mœurs politiques de cette même puissance, qui n’hésite pas à compromettre ses relations diplomatiques, pour le moins insolites, avec des pays musulmans, dès qu’il s’agit d’assurer ses arrières (ex : soutien du projet d’annexion de la Palestine, pays musulman, à Israël, qui fera l’objet d’un autre article très bientôt). Alors, concurrence religieuse : oui, mais pas que. Explications.

Aujourd’hui, la plus grande préoccupation de l’Arabie saoudite, c’est son voisin et ennemi juré : l’Iran. Nul besoin d’être un humaniste pour s’indigner devant la situation : qu’un pouvoir se montre prêt à jeter toute une civilisation dans l’abîme, au nom d'une rivalité idiote et puérile, paraît inimaginable. Et pourtant.

Tout ce que l’Arabie saoudite recherche, c’est perturber les livraisons d’armes iraniennes aux rebelles houthistes. Pour cela, elle souhaite brider l'insurrection Houthiste. Avec l'isolement des forces rebelles, c'est tout un pays qui se retrouve coupé du monde. Bien que l’introduction d’armes iraniennes par la contrebande se démène encore, le pouvoir militaire des Houthistes s’est considérablement affaibli.

6. L'Iran

Du point de vue diplomatique, le Yémen n’est qu’un énième ring où s’affrontent par procuration deux adversaires de toujours : l’Iran d’un côté, et l’Arabie saoudite de l’autre. Une rivalité destructrice qui suce le pays tout entier de son sang.

L’Iran soutient militairement la rébellion zaydite, pour des raisons dont on se doute : la filiation des rebelles à la communauté chiite.

Pour comprendre cette alliance, il faut remonter à 1979. A cette date, l’Iran créé l’ambitieux, et pour le moins insolite, projet de « l’internationale chiite ». Comme son nom l’indique, il s’agit de l’expansionnisme chiite iranien sur les pays musulmans.

En 1982, la minorité chiite du Liban est constituée en Hezbollah. C’est à cette période que la famille Houthi est invitée sur le sol iranien. Elle s’en retourne au Yémen vingt ans plus tard, préparée à la rébellion et soutenue par des membres du mouvement libanais. On comprend que Téhéran a sa part de responsabilité dans l’entrée en guerre de l’Arabie saoudite ; selon une analyse à plus grande échelle, sa stratégie se dessine clairement :

  • S’implanter à la frontière Nord-Ouest yéménite-saoudienne par l’intermédiaire des rebelles houthis.

  • Fomenter une rébellion à la frontière saoudienne obligerait l’Arabie saoudite à se mobiliser et encaisser les contrecoups politiques, financiers et diplomatiques, le but étant que le pays du Golfe en soit fragilisé.

On comprend d’autant plus l’implication des Etats-Unis, éternel adversaire de l’Iran, qui n’aurait naturellement pas manqué une occasion de le défaire sur la scène géopolitique.

7. Etats-Unis, France et Grande-Bretagne : complices ?

On le rappelle : aux premiers abords, les Etats-Unis n’ont pas tenté de cacher leur soutien à l’Arabie saoudite. Cette alliance ne repose pas sur un apport purement logistique, ainsi qu’annoncé au début du conflit ; le géant américain fournit des armes à son allié. Mais ce n’est plus un secret pour personne : le meurtre du peuple Yéménite, perpétré par les forces saoudiennes, est un acte délibéré, visant à vulnérabiliser l’ensemble du pays. Cette allégation n’a pas pu être vérifiée, jusqu’à ce qu’une enquête réalisée par une commission des Nations Unies vienne expliciter la complicité non seulement des Etats-Unis, mais aussi de la Grande Bretagne et de la France, dans la perpétration du génocide Yéménite, par la vente d’armes et l’apport d’intelligence militaire « destiné à une fin défensive ». Or selon le même rapport, les trois puissances sont coupables devraient être tenues responsables pouvoir avoir soutenu directement et indirectement par leur silence, des actes d’infamie.

Depuis, plusieurs enquêtes ont été ouvertes. En Avril 2019, trois journalistes français ont été interpellés par le parquet de Paris suite à la divulgation d’une note dévoilant l’impact des armes françaises et occidentales sur la guerre au Yémen.

8. Comprendre la catastrophe humanitaire

Comme toujours et plus que jamais, dans cette guerre sanglante, c’est le peuple qui prend. Pour étrangler la rébellion Houthie, la coalition commet un acte impardonnable : elle impose un blocus aérien, maritime et portuaire au pays, privant sa population de ressources primaires nécessaires à sa simple survie : tragédie qui très vite, plonge le Yémen dans la pire crise humanitaire que le 21ème siècle ait connu.

C’est 24 millions de Yéménites, soit plus de 80% de la population, qui dépend d’une aide humanitaire, elle-même terriblement insuffisante. La population est morcelée : 3 millions de yéménites se sont réfugiés dans des camps aux conditions insalubres. Des millions succombent à la famine, aux bombardiers et aux maladies. Le choléra, notamment, décime le territoire; le système de santé.

En tout juste deux semaines, le prix des denrées alimentaires a doublé, menaçant d'exacerber la sous-nutrition.

Aujourd'hui, la survie des yéménites repose sur des brindilles : des donations formelles et informelles, mais toujours insuffisantes. Les missions humanitaires peinent à se maintenir : la menace de la fermeture des programmes d'assainissement de l'eau ainsi que d'apports en soin et en ressources primaires, plane dangereusement sur le pays. La catastrophe qui se déploie devant nos yeux rend la recherche d’une issue fastidieuse.

​9. Aujourd'hui, qu'en est-il ?

Face à la pandémie du COVID-19, la guerre n’a pas reculée. Le 9 Avril dernier, un cessez-le-feu a été annoncé par l’Arabie saoudite, dont l’économie a été particulièrement affectée par le coronavirus. Le pays du Golfe déclare vouloir amorcer un « dialogue de paix », selon les termes employés. Mais, au comble du paradoxe, les tensions sont toujours à leur paroxysme, et des frappes aériennes et combats terrestres d’une violence égale se poursuivent.

Les rebelles refusent de déposer les armes tant que la coalition ne promet pas de respecter toutes leurs conditions : aide immédiate à la reconstruction du pays, fin du blocus, retraite des troupes et capitulation totale. Si selon certains analystes l’Arabie saoudite serait prête à défaire les chaines qui garrottent le pays, l’idée d’une révérence totale, politique ou militaire, lui serait inconcevable. Cul-de-sac politique dramatique qui témoigne de l’aveuglement de pouvoirs acharnés, incapables de raison – de part et d’autre du ring.

Selon l'ONU, le Yémen nécessite un soutien financier de grande envergure, ne serait-ce que pour empêcher la crise humanitaire d'empirer. Mais plus que tout, il faut saisir, à toutes les échelles, l'urgence de la fin des combats.

Il semble qu'en 2020, le vent de la justice promette de souffler dans toutes les directions. Espérons simplement que la traque désintéressée de ce que l’entendement n’admet pas se poursuive dans les mois à venir. Qu'elle touche uniformément le vivant, délivre sur son passage les peuples de l'infamie et leur assure réparation, et reconstruction .

 
 
 

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