TRIBUNE - Réforme, quand tu nous tiens !
- Myriam Mernissi
- Jul 10, 2020
- 4 min read
Jean-Michel Blanquer : connaissez-vous votre ministre ?
Né dans les quartiers chics de la capitale, issu d’un collège privé catholique, il sortira diplômé de plusieurs formations de prestige (Sciences po Paris, Universités de Paris I et II). Très vite, il se tourne vers le milieu de l’enseignement. De professeur de droit à ministre de l’Education Nationale en passant par la direction de l’Essec, Jean-Michel Blanquer a fait ses armes dans la sphère publique comme privée ce qui se ressent nécessairement dans sa politique éducative. Loué par l'hémisphère droit de l'assemblée, critiqué par la gauche, en raison de ses positionnements autoritaires et nationalistes (affichage des emblèmes de la république, apprentissage de la Marseillaise...), Jean-Michel Blanquer reste plutôt impopulaire, surtout auprès des classes modestes, puisque plus d’un français sur deux a une mauvaise opinion de lui en août 2019 (Sondage ODAXA). Pourtant, les réformes pédagogiques appliquées par son gouvernement restent majoritairement soutenues, exceptée celle du baccalauréat. Pas de chance, c’est celle qui nous concerne et nous intéresse aujourd'hui.

Réforme du baccalauréat: Blanquer vous veut-il du bien ?
Dès l’annonce de cette réforme, des organisations syndicales enseignantes se sont dressées pour faire barrage à cet ouragan soudain et imprévisible. En effet, cette mesure bouleverse les précédentes en supprimant toutes les filières. Se voulant plus proche du système anglo saxon en promouvant une orientation “sur-mesure” donc plus juste, la réforme semble au contraire renforcer les inégalités en ouvrant une voie royale aux esprits géométriques. Cela tout en éliminant insidieusement les esprits de finesse de la course à la réussite. En effet, l’augmentation générale des exigences pédagogiques scientifiques (ex: unicité de la spécialité mathématiques), au détriment des lettres (réforme bac.de français), sont des exemples criants, et décriés, d’une volonté tacite de faire de l’école républicaine un champ de course. Un hippodrome où seuls les meilleurs chevaux, les mieux entraînés, ont encore leurs places pour les prochains parcours, contraignant les autres au dopage, faute de quoi, à l’abattoir.
L’abattoir? Nul autre que la grande industrie des écoles privées hors de prix, business school et autres formations de marchands de sable, qui, et elles s’en vantent, transforment des “rêveurs en managers”. Abattoir des esprits, qui sont formatés, lissés, hachés, pour en sortir uniformes, semblables, insipides, bref, adaptés au marché du travail.
Coïncidence? (Certainement pas.) Jean-Michel Blanquer s’est trouvé à la tête d’un de ces "bouvrils" et pas des moindres: la célèbre école de commerce de l’Essec. Sans tomber dans l'écueil de la paranoïa et des théories complotistes, on peut supposer aisément que la formation de notre ministre l’a conditionné à considérer “l’enseignement privé comme un partenaire important du service public” et non pas comme une institutionnalisation des inégalités.
Mais après tout, toi, Lycéen, bourgeois s’il en est, dont les parents se préoccupent de la réussite, à grands coups de cours particuliers et de lettres de recommandations, pourquoi serais-tu menacé par ce système qui semble vouloir privilégier ceux qui te ressemblent? Peut-être n’y vois-tu même pas de privilèges mais au contraire une réforme parfaitement juste qui s’appuie sur la fameuse “méritocratie”. Après tout, toi, J.M. Blanquer ne te veut que du bien! (Si une situation plus confortable que stimulante et plus stimulante qu’humaine représente ton bien.) Cet article pourrait s’arrêter là. Nous répondons à la question que nous nous posions: tu es en bonne position pour la course et, moi-même, je parierais sur toi.
Pourtant, je m’évertue à me dire que je ne suis pas lu par un étalon ou une future boulette de kefta, mais bien par un jeune adulte, avantagé mais conscient, privilégié mais courageux. Si au cours de cette année tu as soufflé de colère, roulé des yeux de mépris pour certains de tes professeurs qui t’ont “volé” une malheureuse heure de cours pour se la couler douce en salle des profs : la suite de cette tribune s’adresse tout particulièrement à toi. Tout d’abord je tiens à te rassurer, rater une heure d'anglais ne met pas en péril ton avenir, c’est même négligeable à côté de la situation d’autres élèves. Pour te donner une idée, selon le journal Ouest-France, un jeune de Seine-Saint-Denis perd en moyenne un an de sa scolarité en raison de la difficulté à remplacer les professeurs absents. Ensuite, si ton cœur continue de saigner de n’avoir pas été caressé d’un “Bryan is in the kitchen”, imagine toi tes professeurs mobilisés, révoltés, engagés pour eux, mais surtout pour toi.
Parce que si tu trouves ton compte dans un système profondément inégalitaire où tu prospèreras sûrement en écrasant d’autres qui n’ont pas eu ta chance, tu comprendras bien vite, à tes dépens, qu’il a atteint ses limites et qu'une haine grandissante de toutes les formes de dominations explosera bientôt (cf.gilets jaunes, cf. Black Lives Matter, cf. mouvement LGBTQ+). Ainsi, aujourd’hui, je m'adresse à toi : Révolte-toi! Indigne-toi! Ne brûle pas de voitures mais enflamme tes idées. Tu es dominant, tu as le pouvoir de changer profondément les choses. Proteste, réfléchis, lutte, pour que demain tes camarades de Neuilly comme de Saint-Denis aient les mêmes chances de réussir que toi. Si la liberté est ton idéal, comprends que sans égalité elle est une illusion. Une bulle de savon, brillante mais creuse et vouée à éclater. Alors, avant qu’elle ne t’éclate au visage, trouve le vendeur de lessive, intente lui un procès idéologique et range toi du côté de ceux qui pointent le doigt.
Myriam Mernissi
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